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Un phénomène inquiétant de prostitution impliquant des mineures se développe à N’Djaména, autour des bars-dancings, auberges et surtout, l’un de coins les plus fréquentés, appelé communément « Mokolo » dans le 6ᵉ arrondissement. Le soir, de jeunes filles âgées parfois entre 14, 15, ou 16 ans, en tenues provocantes ou voilées, se rassemblent sur l’avenue Kondol, près de l’université Emi Koussi, à la recherche de clients.
En dehors de « Mokolo » de Moursal, plusieurs quartiers de N’Djaména changent de visage à l’arrivée de la nuit, notamment les quartiers Kabalaye, Chagoua derrière la salle de jeux non loin du viaduc, ou encore à Abena derrière le stade municipal, et à Diguel. A partir de 20 heures, l’on découvre, parmi les femmes adultes, des jeunes filles encore mineures attendent leurs clients.
Assises sur des dalles ou dissimulées dans l’ombre, à l’avenue Kondol, près de l’université Emi Koussi, elles négocient avec leurs clients sur le trottoir avant de monter derrière une motocyclette ou dans une voiture et disparaissent.
« On les voit tous les soirs, mais on a peur de parler », confie un vigile, d’un bar-dancing, au quartier Chagoua.
Dame, Alyah, une travailleuse du sexe expérimentée, explique que ces filles, sont souvent rejetées par leur famille et déscolarisées, elles sont livrées à l’exploitation sexuelle. « Je voulais continuer l’école, mais je n’avais plus de maison ni de moyens », témoigne une adolescente, camouflée derrière sa voile, au quartier Diguel.
D’autres, orphelines ou mal encadrées, se tournent vers cette activité pour survivre.
Selon le sociologue Rititingar Appolinaire, la majorité des jeunes filles impliquées dans la prostitution à N’Djaména proviennent de milieux précaires ou de zones rurales, attirées par l’espoir d’une vie meilleure. « La ville de N’Djaména, au lieu d’être une solution, devient un piège pour elles », déplore-t-il. Il souligne que ces jeunes sont souvent livrées à des clients par des intermédiaires, voire des proches, sous couvert de fausses promesses d’emploi.

« Bien que nous ne disposions pas de chiffres officiels, ce phénomène devient de plus en plus visible. Nous intervenons en toute discrétion avec les services sociaux et les autorités pour protéger et réinsérer ces jeunes filles », confirme pour sa part Mme Dion-Oumanlelmbaye Régine, fondatrice de l’ONG MAVI. Elle alerte sur les risques encourus, en citant les IST, grossesses non désirées, violences physiques et psychologiques. Son ONG mène des campagnes de sensibilisation sur les droits de l’enfant et l’importance de la scolarisation.
« Ces filles sont souvent victimes de violences sexuelles, ce qui les rend vulnérables à l’exploitation. Le Code pénal tchadien, révisé en 2017, prévoit des sanctions contre ces actes, notamment, les articles, 271 à 273 ainsi que 276 et 277 sont consacrés à la protection des enfants contre l’exploitation et la violence sexuelle », reconnaît M. Nangtoingué Ronel, directeur de l’appui physico-social aux victimes de violences basées sur les genres, au ministère de la Femme et de la Petite Enfance.
« Le ministère a enregistré plus de 80 femmes prostituées qui ont bénéficié de formations dans différents domaines : l’art culinaire, pâtisserie et couture. Nous avons mis en place un comité restreint afin d’élaborer, dans les jours à venir, une base de données sur ce phénomène. Il reste cependant difficile d’avoir le nombre exact des filles mineures prostituées, car elles se cachent et refusent souvent d’être enregistrées », déplore, M. Maloum Goni, Directeur de la Promotion du Genre et de l’équité au ministère de la Femme et de la petite enfance.
Le juriste Ali Moussa rappelle que la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, ratifiée par le Tchad, garantit à chaque enfant une protection contre l’exploitation sexuelle et économique, y compris la traite, la prostitution et la pornographie infantile. « Il faut appliquer rigoureusement les lois, sanctionner les clients et les exploiteurs, créer davantage de centres d’accueil et maintenir les filles à l’école grâce aux aides sociales », plaide-t-il.
Pour de nombreux témoins, la lutte contre la prostitution des mineures est un combat social, éducatif et moral. « Il est temps d’agir, avant que d’autres filles ne disparaissent sous les lumières trompeuses de la nuit. Une fille n’est pas une marchandise. Une enfant n’est pas un objet de plaisir. Et l’enfance ne devrait jamais se négocier dans les coins de joie », déclare avec gravité l’imam Moussa, devant une mosquée de Moursal.
Mobete Christian

